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Récit familial et recherches généalogiques sur Catherine Olivetti et ses descendants

Catherine : Une histoire de famille. 4 - Les hirondelles

Publié le 26 Janvier 2013 par Anne Prince

Comme un oiseau

Aujourd'hui, vous avez laissé Catherine à Modane, chez les Gibel, et par la grâce de quelques mots et images sur le chemin du récit, vous repassez les Alpes pour revenir en Italie.

Penchez-vous sur cette carte en relief. A vol d'aigle, tout tient en un coup d'aile, un lent plané par dessus ces vagues de vert et de blanc. Les plumes vibrent dans le vent qui porte l'élan et vous voici déjà à l'aplomb de cette large tache de gris, là, tout en bas.

C'est Turin. Vous approchez de votre destination.

Catherine : Une histoire de famille. 4 - Les hirondelles

A peine encore un bref battement pour descendre en douceur vers Settimo Torinese, cette grosse commune qui se donne des airs de prospère bourgade avec ses plus de quatre mille habitants. Ou plutôt vers Fornacino, l'un des hameaux de Settimo. Vous glissez au-dessus de ce paysage de plaine agricole, pour survoler la route de Caselle Torinese.

Catherine : Une histoire de famille. 4 - Les hirondelles

Vous cherchez deux jeunes gens. Ils ont quitté Fornacino ce matin.

Ne vous laissez pas griser par ces hauteurs où les courants tendent vos ailes à la limite de la douleur. D'ici, vous dominez le monde, mais pour trouver deux hommes en marche sur la route, il vous faudra plonger.

Ecoutez. La brise bruit dans les maïs comme une pluie. Les oiseaux s'ennivrent de printemps à plein gosier. Vous entendez, au loin, sur votre gauche, un fracas de rivière en fête. Cest la Stura di Lanzo. Déjà.

Les garçons ont dû cheminer d'un bon pas. Hâtez-vous de laiser Casselle derrière pour longer vers l'amont le cours de la rivière. Vous les rattraperez bientôt, peut-être.

Catherine : Une histoire de famille. 4 - Les hirondelles

Stura di Lanzo

Des éclats de voix, de rires, d'eau. Ils se sont sans doute arrêtés à hauteur de Robassomero. Ils doivent être affamés par leur marche, car ils sont partis de bon matin en grignotant un simple quignon de pain.

Ils trouveront ici de quoi se rassasier. Les truites abondent dans la Stura di Lanzo et se laissent prendre aux caresses.

Sentez. Déjà leur feu de bois flambe sous les poissons ruisselants. Et les voici, deux hommes jeunes, côte à côte sur la berge, beaux, insouciants et forts, offrant leurs visages au soleil.

Le plus jeune n'a pas encore vingt ans. L'aîné à peine quelques années de plus. En tisonnant le feu, il fait à son cadet le récit cent fois répété de sa vie de soldat. Tous deux s'enflamment à l'évocation des combats et cette ardeur qui monte en eux les embrase, leur met des ailes aux pieds pour reprendre la route. Il ont encore devant eux quelques heures de marche avant d'atteindre le pont du diable où ils traverseront la Stura di Lanzo.

Fratelli d'Italia

Regardez-les marcher d'un même pas, si semblables tous deux sous sous leurs boucles brunes, cousins par leurs mères, tous deux, tous deux baptisés du même prénom. Giuseppe Olivetti vient d'avoir dix-neuf ans. Pour tous, il est Peppino. L'aîné qu'il admire tant n'est plus Giuseppe depuis son retour du service. Pour s'être battu en chemise rouge avec les Volontaires Italiens en 66, et surtout pour avoir toujours à la bouche le nom de son grand général héros d'une l'Italie en quête elle-même, il a reçu le surnom un peu ironique de Garibaldino.

Les deux garçons marchent au rythme de l'Inno di Mameli, ce chant que les patriotes italiens ont fait leur durant ces vingt-deux ans qu'a duré le combat pour l'indépendance et l'unité. Garibaldino évoque de grands noms, de grands lieux. Cavour, Mazzini, Garibaldi, et puis Milan, et Florence, et Rome, enfin.

Rome. Ah ! Que n'était-il à la Porta Pia, le 20 septembre dernier, lorsque les troupes italiennes enfin sont entrée dans la ville tant désirée !

Pourtant, que représente-t-elle, en vérité, cette unité enfin conquise, pour le jeune Garibaldino ? A peine davantage, sans doute, que pour la plupart des autres paysans piémontais. Lui, c'est juste, a eu l'enfance échauffée de discussions politiques chez son parrain qui tient un café à Settimo. Il s'est engagé dans les volontaires à dix-huit ans, en mémoire de ses deux frères aînés tombés sous les balles autrichiennes en 48, à la bataille de Custoza, l'année même de sa naissance, l'année où a commencé cette grande marche vers l'Italie. La mort de ces frères inconnus n'a pas été pour lui douleur éveillant l'horreur de la guerre, mais défaite à venger, signe de légitimité du combat. Et cependant, cinq ans après, il lui reste bien peu de chose de ce combat. Des souvenirs. Du vent. Des heures d'ennui de garnison. Et l'amertume d'une vie militaire inaccomplie, plus pauvre encore que la pauvre vie de paysan. Et s'il n'était pas à Rome, à la Porta Pia, pour faire tomber la ville, c'est quil était en Savoie, à Modane, à la gagner, cette pauvre vie. De quoi la rendre un peu meilleure. De quoi se marier, peut-être, de quoi faire un rêve de bonheur. Au pays. A Fornacino.

Au diable Rome, et l'Italie...

Pour Peppino aussi la seule lutte qui vaille est celle du quotidien. Alors, en marche. Car il va bien falloir marcher. Aujourd'hui, on se rend à Germagnano. Comme chaque année. Pour saluer le grand-père Olivetti. Avant de se mettre en route pour la Savoie. Comme chaque année. Depuis trois ans maintenant. Une de moins pour le Garibaldino.

C'est le printemps. Bientôt Rome sera capitale de l'Italie, après Turin, après Florence. Qu'importe. Les hirondelles du Piémont n'en ont que faire. Pour elles, il est temps de s'envoler vers Modane.

Va, pensiero

Là-bas, justement, Catherine.

Pendant que descend l'ombre des montagnes sur Modane, ses pensées se tournent vers sa patrie. Non pas celle qui a conquis Rome, non.

Sa patrie ne déploie pas son drapeau de cité en cité sur des centaines de lieues. Sa patrie se blottit dans un creux de montagne. Elle est une douceur dans le ciel d'été, un parfum d'herbes et de buissons, un parler qui chante comme la Stura di Lanzo, des visages éckairés par la sagesse de ceux qui n'ont que faire de se battre pour ce qui les dépasse. Elle est tout cela que Catherine a perdu.

Et dans des mots, des accords et des évocations qui ne sont pas ceux de Catherine, qui cependant mieux que Verdi saurait donner voix à cette absence ?

Va pensiero sull' ali dorate...*

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